AVANT 1870
La grande commune d'Hermies n'avait, en 1840, comme ses voisins aucun chemin praticable. On commença cette année-là le chemin de Doignies. Les chemins de grande communication 3 et 18 ne furent établis qu’en 1846 et 1847.
En 1856, une succursale de la caisse d'épargne de Bapaume, s'établie à Hermies. Cette société, présidée par M. le marquis d'Havrincourt, a composé son Conseil d'administration de membres pris à Hermies, Havrincourt, Trescault, Metz-en-Couture, Neuville et Ruyaulcourt.
La mairie et l'école de garçons ont été construites en 1860, sous l'administration de M. Desmaret, maire, qui a également fait bâtir une école de filles en 1867, dans une maison que la commune avait achetée.
Le tissage de cotons, articles Rouen et Roubaix, occupe alors environ 800 ouvriers.
Dans les années 1870, il y avait à HERMIES trois classes bien distinctes vivant en bonne intelligence, travaillant les unes pour les autres, mais ne se mélangeant pas, savoir
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les riches
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les gens aisés
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les pauvres
Les Riches : On appelait les riches, les fermiers ayant en propriété une soixantaine de mencaudées de terre (20 hectares environ) et trois ou quatre chevaux dans leur écurie. Ces gens vivaient largement du produit de leur culture et avaient souvent servante, valet de charrue et garçon de cour. Ils fréquentaient des cafés où ils se réunissaient le dimanche pour jouer aux cartes et parler de leurs travaux agricoles. Leur distraction favorite c’était d'aller le samedi au marché de Cambrai et le 24 de chaque mois au franc marché. Les mariages se faisaient à fortune égale en tenant compte surtout du nombre d'hectares de terre apportés en dot par les futurs époux. On vendait rarement des parcelles de terrain car un fermier d'alors se serait déshonoré en aliénant une partie de son patrimoine. Devenus vieux, le père et la mère cédaient leur ferme et leurs terres à leurs enfants et restaient avec eux jusqu'à la fin de leurs jours. C’était la vraie vie de famille. A la kermesse d'HERMIES, qu'on appelait la ducasse, si animée jadis, les filles des riches, comme on disait alors, se tenaient ensemble dans le fond de la tente servant de salle de bal et n'acceptaient comme cavalier que des jeunes gens dont le maintien était correct. Elles n'auraient pas voulu donner le bras à un danseur ayant des manières inconvenantes ou n’étant pas du même milieu qu’elles. Vers 1880, presque toutes les fermes étaient bâties sur le même modèle : en entrant dans la maison, il y avait le corridor pavé de carreaux de Beauvais, à gauche la salle à manger et les chambres à coucher, à droite une pièce assez vaste où se donnait le diner los jours.de fête. Le fournil avec le poêle en fonte et le four à cuire le pain se trouvait se trouvait dans la cour non loin de la maison. Les meubles étaient d'une propreté méticuleuse mais sans aucun style. Dans la salle à manger une armoire de chêne vernis à deux ou trois portes, une table ronde avec tapis de toile cirée, un fourneau cuisinière, une horloge et des chaises de paille. Aux murs étaient suspendus un crucifix, un baromètre et quelques portraits de famille. Dans la chambre à coucher un ou deux lits et une table de nuit, mais l'armoire à glace braillait par son absence.
Dans la grande pièce, une table ronde à allonges, une commode sur laquelle était posée une pendule sous globe et deux candélabres, une cheminée prussienne et un calorifère et des chaises de paille. Aux murs, on voyait quelques chronos, natures mortes, sujets religieux ou patriotiques. On ne trouvait alors dans les maisons des riches aucun meuble de style. On n'aurait découvert nulle part dans la salle à manger un buffet, une desserte une table et des chaises de style Renaissance, Henri II ou Louis XIII. Le salon avec les fauteuils, les canapés, les divans, les sofas étaient inconnus. Quant au cosy-corner, il n'était pas encore créé.
Les dépendances de la ferme étaient d'un modèle presque uniforme. A l'entrée sur la rue une grande ‘porte en bois surmontée d'un pigeonnier. A droite, l'écurie, les étables, la porcherie, et le poulailler. A gauche, les granges et le hangar. Au milieu de la cour un immense tas de fumier sur lequel les poules picoraient.
Le style des nouvelles fermes reconstruites après la guerre ne rappelle en rien celles des anciens bâtiments ruraux. Les fils et les filles des gens riches allaient l’école communale jusqu’à l’âge de treize ans, ensuite pour leur donner un peu le "dehors", il était d'usage de les mettre en pension un ou deux ans. Les jeunes garçons étaient envoyés au collège de Cambrai où se trouvaient alors deux professeurs originaires d'HERMIES : M. CAPELLE chargé du cours de philosophie et M. RAISON professeur de seizième. Les collégiens portaient alors un brillant uniforme : Képi a galons dorés, tunique à bouton de métal et pantalon à passe poil rouge. La mère était fière d'accompagner, les dimanches de sortie, son fils sanglé dans une élégante tunique. Au bout de deux ans, ces jeunes gens revenaient à la ferme pour travailler aux champs avec leurs parents. Seuls continuaient leurs études au collège ceux qui voulaient devenir notaire ou médecins. On peut citer comme notaire : Me ACHON, Me COULON, Me CORBIER et comme médecins : E GERNEZ, Dr Gaston CAPELLE et le Dr HARLET. Les jeunes filles allaient également en pension à Cambrai ou à Bapaume, soit dans les couvents où il y avait un internat et où l'enseignement était donné par les religieuses, soit dons les pensionnats laïques.
Dans ces derniers, on leur donnait des leçons de maintien, de conversation et même de danse. Elles apprenaient à faire le pas de polka ou de mazurka et aussi bien exécuter le quadrille des lanciers fort en honneur dans les bals d'autrefois.
Très peu d'entre elles étudiaient la musique et le piano. Les gens riches donnaient des dîners de gala dans la grande salle de la maison à l'occasion d'un baptême, d'une première communion et surtout le dimanche ou le lundi de Ia kermesse (ducasse) d'HERMIES très populaire autrefois et bien fêtée dans toutes les classes de.la société. Le menu de ces agapes était presque toujours invariable : tête de veau, gigot, volaille rôtie, jambon et salade, tarte arrosée de Bordeaux, puis champagne avec biscuits et enfin café et liqueurs. Avec le café commençaient les conversations et aussi les chansons. Les hommes allumaient leur pipe, les jeunes gens la cigarette et les dames étaient priées de chanter une romance, c'était de rigueur. Inutile de dire que les chansons étaient choisies avec goût et avec tact. C'était la lisette de Béranger, el' canchon dormoire d’Alexandre Desrousseaux plus connue sous le nom du p'tit quinquin", les deux gendarmes de Gustave Nadaud, le Crédo du paysan ou l'Angélus de la mer. Une romance légère ou inconvenante n'a jamais été entendue dans ces réunions. Nos ancêtres avaient trop de dignité personnelle pour tolérer ce qui aurait pu choquer les oreilles ou blesser la morale. Les diners de première communion duraient moins longtemps et les chanteuses ne pouvaient faire entendre leurs voix car il fallait à trois heures quitter la table pour aller à l'église et entendre le petit ou la petite réciter son acte.
Les gens aisés étaient les commerçants, les artisans, les meuniers, les bergers et les ménagers. Ces derniers étaient de petits cultivateurs ayant parfois un cheval, mais toujours une ou deux vaches, un porc, des lapins et une nombreuse volaille. Ils cultivaient deux ou trois hectares de terre pour produire leur blé, la paille pour les litières, le fourrage et les betteraves. Ils faisaient leur pain eux-mêmes, vendaient le lait de leur vache ou le beurre fait avec le lait, leurs œufs et leur volaille. Ils exécutaient eux-mêmes tous les travaux agricoles sauf le charroi du fumier et le labourage exécutés contre paiement par les cultivateurs équipés en conséquence. C’étaient en général des gens peu fortunés mais très durs au travail et âpres au gain. Ils coupaient les céréales à la sape et souvent à la faucille, ils faisaient le battage dans une petite grange située à côté de l'étable à vaches.
Ils vivaient très modestement et ne dépensaient que fort peu car la vache leur donnait le lait et le beurre, leur blé se transformait en farine pour faire le pain, le porc leur assurait la viande pour une année et les poules pondaient plus d'œufs qu'ils n’en pouvaient consommer.
Bien souvent, en été, la femme du ménager allait à l'herbe dans le bois d'Havrincourt. Elle connaissait les endroits herbus de la forêt et partait l'après-midi couper avec la faucille une grosse botte de verdure qu'elle rapportait sur son dos, liée avec des cordes qui assurait la nourriture de la vache pour plusieurs jours.
Les commerçants étaient surtout les débitants de boissons, les épiciers, les boulangers, les bouchers et les charcutiers. Il arrivait quelques fois que les commençants étaient en même temps des artisans. Par exemple le forgeron était souvent cabaretier, il avait des clients tout trouvés dans les cultivateurs ou les domestiques venant à la forge pour faire ferrer les chevaux ou mettre en réparation leurs instruments aratoires.
Les artisans comprenaient les maçons, les menuisiers, les charpentiers, les couvreurs, les charrons, les bourreliers, les serruriers, les forgerons, les tailleurs, les couturières et les modistes.
Tous ces gens vivaient modestement mais sans endurer de privations car ils étaient fort économes et leur gain était suffisant pour vivre. Ils avaient pour la plupart un atelier dans leur demeure et travaillaient non seulement pour le village, mais pour les pays environnants. Les constructions nouvelles, assez nombreuses dans les années où la culture était prospère donnaient du travail à tous les ouvriers du bâtiment : maçons, charpentiers, couvreurs etc.…
Les fils des artisans apprenaient souvent le métier du père pour continuer la tradition dans la famille. Ceux qui n'avaient pas le goût du travail manuel et se sentaient doués pour faire des études peu coûteuses se préparaient à devenir prêtre ou instituteurs. Les enfants qui voulaient entrer dans les ordres commençaient par faire une année de latin avec le curé. Ils apprenaient les déclinaisons : Rosa, la rose et cherchaient à traduire le " De Viris " de Lhomond.
Ils entraient ensuite au petit séminaire d'Arras. On peut citer en I882 comme séminaristes : Роlyсarpe CAPELLE, Hippolyte TRANNOY, Guislain CORBIER, François LECOMTE, etc.... Ceux qui avaient la vocation de l'enseignement préparaient le brevet d'instituteur, soit au cours normal de Dohem, soit dans les pensionnats laïques. On peut citer comme instituteurs : François JAYET, Louis LANCELLE, Jean RICQUE, Ildefonse GERNEZ, Jean CHOPIN, Louis DOBY, etc....
Vers 1882 pendant le mois de septembre, il n’était pas rare de rencontrer dans le bois d'Havrincourt quatre ou cinq séminaristes et autant d'instituteurs en vacances allant cueillir des noisettes et faire une promenade hygiénique.
Tous ces gens vivaient en bonne intelligence et entre eux régnait une excellente camaraderie. Une parfaite concorde existait entre ces compatriotes de même âge et de même condition mais qui poursuivaient des voies différentes.
Les jeunes filles des familles aisées faisaient le ménage avec la mère ; celles qui voulaient exercer un métier manuel devenaient couturières, lingères ou modistes. D'autres qui désiraient continuer leurs études entraient comme pensionnaires dans des couvents de la région possédant un internat ou dans les institutions laïques ou elle suivaient des cours leur permettant de conquérir le brevet d’institutrice : pour entrer ensuite dans l'enseignement.
Les gens aisés fêtaient, eux aussi, joyeusement le ducasse d'HERMIES mais avec des réceptions plus modestes que les riches : Ils invitaient les parents et les amis des villages environnants, dînaient assez copieusement puis allaient faire un tour sur la place pour voir les baraques foraines avant de commencer la partie de cartes. Le soir, les jeunes gens et les jeunes filles entraient au bal pour terminer gaiement la journée.
Les pauvres : La classe des pauvres comprenait les tisseurs, les domestiques de ferme et les ouvriers agricoles : batteurs en grange, sarcleurs, moissonneurs, etc...Ils habitaient en général des maisons très modestes, bâties en torchis, couvertes de chaume et devant lesquelles se trouvait une petite cour avec le trou à fumier, le clapier et parfois la porcherie.
Ces demeures se trouvaient presque toujours dans des impasses de trois mètres de large qu'on appelait des passages et qui aboutissaient aux champs. Tout le long de ces ruelles on voyait quatre ou cinq maisons à la file les unes des autres. Ces impasses étaient très nombreuses à HERMIES, on en comptait 7 ou 8 dans la rue de Cambrai, trois dans la rue Neuve, 5 ou 6 dans la rue d'Havrincourt au lieudit "le Touquet". Il y en avait même autour de la place et dans la rue de la Gare.
Les tisseurs travaillaient dans leur chaumière, les garçons de cour et les domestiques couchant à la ferme qui les occupait ne revenaient que le samedi soir pour changer de linge.
L'intérieur de toutes ces demeures était modeste, bien souvent les lits étaient à côté des métiers à tisser, mais la propreté régnait partout. Les enfants des classes pauvres allaient à l'école plus ou moins régulièrement car il fallait bercer le petit frère ou la petite sœur, faire les commissions, couper de l'herbe le long des chemins pour la nourriture des lapins, aller dans les champs pour arracher des sanves ou glaner et aussi ramasser du crottin de cheval dans les rues pour fumer le jardin. La loi sur l'instruction obligatoire qui date du 28 Mars 1882 a mis fin à cet état de choses.
Les pauvres gens attendaient la ducasse avec autant d'impatience que les riches · Après le dur labeur d'une année, ils étaient heureux de se distraire un peu. Ils commençaient leurs préparatifs vers le 1er septembre, il fallait rafraichir et embellir la modeste demeure et pour cela, le père badigeonnait l'intérieur avec du lait de chaux . L'extérieur était également remis à neuf de la même manière. Les fenêtres et la porte recevaient une couche de peinture et le haut de la cheminée dans la maison était recouvert de papier peint ·Les moyens ne permettant pas de tapisser toute la pièce, on se contentait de la cheminée. De cette façon la demeure prenait un air de fête. La ménagère ne manquait pas non plus de faire des flans et quelques tartes la veille de la ducasse.
Les pauvres, eux aussi, avaient souvent quelques invités, parents ou amis. Le menu était très modeste en général : un pot au feu, un bon lapin, de la tarte, un verre de vin et du café arrosé, mais la bonne humeur remplaçait la bonne chère. Le soir, bien entendu, tout le monde allait se promener sur la place et voir les baraques foraines. Les jeunes gens et les jeunes filles entraient au bal et les maris accompagnés de leurs épouses allaient passer la soirée dans les cafés situés autour de la place.
Les pauvres gens vivant au jour le jour ne pouvaient songer à faire des situations à leurs enfants ou même à les mettre en apprentissage, il fallait gagner sa vie le plus rapidement possible, aussi, après la première communion, les enfants des ouvriers commençaient à travailler. Beaucoup d'entre eux se livraient aux travaux agricoles avec leurs parents. Les sarclage (betteraves, œillettes, colza), la fenaison, la moisson, l'arrachage des betteraves fournissaient du travail une grande partie de l'année. Le glanage occupait les femmes et les filles pendant tout le mois d'août.
D'un autre côté, un certain nombre de garçons robustes, arrivés à l'âge de I6 ans trouvaient à s'embaucher dans les fermes comme garçon de cour pour devenir plus tard valet de charrue. D'autres plus entreprenants allaient dans les villes chercher un emploi de commis épicier ou de garçon de café. Enfin, quelques-uns, assez adroits de leurs mains étalent en apprentissage pour devenir cordonniers, bourreliers ou tailleurs d'habit.
La saison d'hiver, si dure aujourd'hui pour les travailleurs assurait alors à chacun d'eux une besogne certaine. Les jeunes gens de DEMICOURT, soit à la sucrerie d'HAVRINCOURT pour décharger les betteraves ou secouer les sacs pleins de pulpe. A cette époque, les diffuseurs étaient inconnus, le jus des cossettes de betteraves mises dans des sacs était extrait au moyen de la presse hydraulique et la pulpe restait dans le sac. Ils pouvaient aussi trouver à s'occuper dans les carrières de silex ou de marne. Enfin la fabrique de boutons de nacre fondée en 1880 fournissait de la besogne à nombre de jeunes gens qui gagnaient ainsi de quoi subvenir aux besoins de la famille.
Les jeunes filles se procuraient assez facilement de l'occupation, soit comme femmes de journée dans les fermes ou les maisons particulières, soit comme lessiveuses. Celles qui voulaient s'expatrier se plaçaient à la ville et devenaient bonne à tout faire. Les plus adroites entraient en apprentissage pour devenir couturières. Un certain nombre d'entre telles trouvaient aussi un emploi à la boutonnerie, soit pour classer les objets fabriqués, soit pour fixer les boutons sur les cartons de vente. On peut affirmer que personne à cette époque ne se trouvait en chômage forcé. Le travail était moins bien rémunéré qu'aujourd'hui. Le gain quotidien variait de deux francs à deux francs et cinquante centimes mais les denrées alimentaires et les vêtements étaient à des prix inconnus de nos jours, un œuf se vendait cinq centimes, un kilogramme de pain vingt-cinq centimes, un litre de lait dix centimes, un kilogramme de beurre valait deux francs cinquante centimes et pour trente centimes, on avait chez le boucher une belle côtelette de mouton. Le vêtement était également très bon marché, pour une soixantaine de francs on avait un costume complet très confortable et une paire de chaussures faite sur mesure ne valait que vingt francs. Quelle d'différence avec les prix actuels!
Un ouvrier qui gagnait deux francs cinquante centimes par jour pouvait alors vivre plus aisément que celui qui a actuellement vingt-cinq ou trente francs de salaire et il était sûr de trouver toujours de la besogne. Il n'en n'est pas de même de nos jours malheureusement. Les progrès du machinisme ont engendré le chômage aussi bien dans l'agriculture que dans l'industrie. La faucheuse, la faneuse, la batteuse mécanique, le moteur électrique ont réduit de plus de moitié la main d'œuvre dans les fermes. Le progrès amène parfois avec lui la misère pour l'ouvrier des champs. C'est triste à dire mais c'est la vérité.
Sources: d'après un livre écrit par M. Louis Doby, Directeur honoraire d'école primaire, pour son cousin M. Jean Capelle, en 1937.