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LA GREVE
AU CANAL DU NORD

En 1909-1910, un mouvement social généralisé éclate sur le chantier du canal. La principale revendication des grévistes est l'augmentation du prix de l'heure de salaire. De nombreux actes de sabotage sont perpétués sur Hermies, Ruyaulcourt, Ytres.


Début décembre 1909, durant une réunion organisée avec le préfet M. Bouffart, les ouvriers refusent à l’unanimité un arbitrage que leur offre celui-ci, avec des magistrats, des présidents de tribunaux ou de Chambres de commerce, des conseillers prud'hommes qui leur sont inconnus, redoutant un piège des entrepreneurs du chantier.

Toutefois, avant de couper court à l'entretien, les grévistes, après avoir renouvelé intégralement leurs revendications, dont la principale est l'augmentation du prix de l'heure de salaire, demandent à M. le Préfet si, au lieu de leur proposer un arbitrage, il ne peut intervenir dans le conflit au nom du gouvernement, puisque M. Brossier ne veut pas céder.
M. Bouffart, à cette question, déclare qu'il ne peut répondre à l'improviste, qu'il lui faut consulter, étudier le cahier des charges.
C'est sur cette promesse que la conversation prend fin, après que M. le préfet eut réclamé à nouveau des grévistes qu'ils fassent preuve de calme.

Sur ce dernier point, hélas ! les espérances préfectorales ne se réalisent pas : Dans la nuit de samedi 11 au dimanche 12 décembre 1909, 100 mètres de fils électriques sont coupés et enlevés à l’excavateur, entre Ruyaulcourt et Hermies et souvent les poteaux arrachés ou sciés à hauteur d'homme.
A l'instar des compagnons qui lundi matin commirent des dégâts considérables sur les chantiers de Ruyaulcourt, les grévistes profitant de que les chantiers d'Ytres étaient insuffisamment gardés, se portent mardi matin à 300 de ce côté et se livrent à des actes de sabotage tout à fait graves. Le chiffre de 100.000 francs de dégâts est donné par l’entreprise Bossier : bris des machines, le comblement en parties des puits donnant accès aux souterrains, et aussi des dégâts de toutes sortes : éboulements intérieurs, envahissements d'eau qui se sont produits du fait de la cessation des travaux. Le chiffre annoncé ne semble-t-il pas trop exagéré à beaucoup.
On constate que sur Ruyaulcourt, l'excavateur Nord, grande machine à godets servant à déblayer et qui se trouve placée juste à l'entrée du canal construit en tunnel, a peu souffert dans l'assaut qu'il reçut lundi matin.
Il n'en est pas de même d'une baraque de plusieurs mètres carrés de superficie qui concentre l'énergie électrique pour faire fonctionner l’excavateur ; baraque et appareils ont été renversés, jetés du haut du talus surplombant d'une vingtaine de mètres le « plafond » du canal et entièrement démolis après cette culbute.
Une autre baraque, située un peu plus sur Hermies et renfermant du matériel, a été incendiée avec tout son contenu.
Du côté de l’excavateur Sud, qui, situé à 4 kilomètres, marque la sortie du passage du canal en souterrain, le puits désigné sous le n° 40 n'a pas souffert, mais le matériel servant aux ouvriers a été assez malmené. Au puits 41, rien n’a été cassé.
La briqueterie qui lui fait suite toujours sur la ligne du canal n’a pas souffert. Il n’en a pas été de même du puits 42 où les dégâts sont très sérieux.
Le puits est en partie rebouché par le matériel, les dynamos placées dans un bâtiment attenant au puits sont entièrement brisées et les appareils du moulinage placées dans une autre salle entièrement démolis.
Un ventilateur placé à proximité a été renversé, son moteur en partie brisé et la baraque abritant le tout, jetée à bas.
On entre ensuite dans le département de la Somme. La briqueterie que l'on rencontre a quelque peu souffert de sa toiture. Un dépôt à ciment a été en partie démoli et les sacs éventrés.
L’usine électrique qui suit, protégée à temps, n'a pas souffert, pas plus que le puits 43 qui lui est contigu. Tel est le bilan de la journée de lundi 13 décembre.

C’est à Ytres que les grévistes portent leurs efforts ce mardi 14 décembre matin. Les chantiers de l’excavateur Sud, en bordure du chemin de fer de Vélu à Saint-Quentin, sont le premier théâtre de leurs exploits. Ils aiguillent d’abord une première locomotive de quinze tonnes servant au transport des déblais, sur une voie en pente très raide, puis en lancent une seconde sur la première : on devine ce qu'il résulte du choc qui s'en suit.
Après avoir mis ces deux machines hors d'usage les grévistes tentent d'en jeter une troisième dans un trou profond d’une dizaine de mètres, n'y parvenant pas, ils la démolissent.
Après quoi, au nombre d'une soixantaine, ils tentent de jeter un générateur dans le trou : malgré l’acharnement qu’ils déploient, les saboteurs doivent y renoncer.
Après avoir brisé brouette, wagonnets, etc., les grévistes gagnent un bois voisin où se trouve le puits 44, et là encore il mettent à mal cet ouvrage en cassant tout et en cherchant à combler le trou avec les débris.

 

Le même jour, vers 2 heures, les grévistes tiennent leur réunion quotidienne à l'estaminet Hénocq-Bexant. Les grévistes votent la continuation de la grève et le maintien des revendications.
Toutefois, ils ne se refusent à un compromis en vue d'une entente « si M. Brossier consent à se montrer moins intransigeant disent-ils.
A l'issue de cette réunion, les grévistes se fractionnent en plusieurs groupes et parcourent les rues d'Ytres en chantant « L’Internationale » ou une chanson : « A bas Brossier ! »  dont les premiers mots laissent deviner le reste.
Pendant que les grévistes se livrent à leurs manifestations dans la commune d'Ytres, plusieurs coups de revolver sont tirés pour effrayer les chevaux des gendarmes.

Les manifestants passent plusieurs fois devant l'ancienne ferme du sénateur Magniez, qu'a louée M. Brossier, pour y installer son habitation et ses bureaux.
Chaque fois, des cris hostiles sont poussés à l'adresse de l'entrepreneur, qui a quitté la maison, il y a huit jours, en envoyant les clefs au préfet et en le priant de garder l'immeuble.

La troupe et la gendarmerie arrivent en force suffisante à cet instant, les manifestants se dispersèrent. Une compagnie du 33° d'infanterie, commandée par le capitaine de Thuny est arrivée à Bertincourt ce mardi pour renforcer le service de surveillance des ouvrages d'art afin, de permettre aux gendarmes de faire des patrouilles plus nombreuses afin que les grévistes ne puissent plus se livrer à la moindre déprédation sur les chantiers.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Les gendarmes suivent tous les mouvements des manifestants, qui à la tombée du jour regagnent chacun leur village.
En cours de route on pratique, entre Ytres et Ruyaulcourt, à l'arrestation des sieurs Alphonse Turpin et Eugène René, originaires de la Haute-Loire, domiciliés à la cantine Chadelas, à Ruyaulcourt.
Tous deux ont été formellement reconnus par des gendarmes comme les auteurs principaux du sabotage de lundi.
A peu près à la même heure, on arrête à l'entrée de Bertincourt, un sieur Arthur Leboucq, 42 ans, de Bertincourt, reconnu comme ayant participé aux sabotages.
Les trois hommes, dirigés sur la gare de Bertincourt, sont conduits le soir au parquet d'Arras et écroués à la prison de cette ville.
M. le sous-préfet de Péronne est resté mardi toute la journée à Ytres : il était accompagné du chef d'escadron de gendarmerie, commandant la compagnie de la Somme, du capitaine de gendarmerie de Peronne et de M.Busdre, commissaire spécial de la Préfecture de la Somme..
Mardi également, M. le Préfet du Pas-de-Calais s'est rendu à Ruyaulcourt pour se rendre compte des dégâts et voir les mesures de surveillance prises ; il a été reçu par M. le capitaine de gendarmerie Thilliard et M.Maille, commissaire spécial.
On croit que ces trois arrestations vont causer une profonde émotion dans les milieux grévistes : déjà, à l'heure de la « soupe communiste », les ouvriers s'en entretiennent beaucoup.

Voilà pour la journée de mardi 14 décembre.

 

La journée du mercredi 15 décembre est très calme.

Mercredi 29 décembre matin, on arrête à Ruyaulcourt le cantinier Pierre Pichot, chez qui on a
perquisitionné récemment, sans succès du reste. Son arrestation porte à onze le nombre des
arrêtés depuis le commencement de la grève.
Le bruit court qu'il serait question de procéder prochainement à des travaux de réfection
de deux briqueteries qui ont été plus ou moins endommagés au cours de la grève. D'autre
part, on dit aussi que de nombreux grévistes, non syndiqués, travaillant dans la partie du
canal sur Hermies seraient disposés à entrer en pourparlers avec leur entrepreneur.

 

En ce début d’année 1910, les ouvriers du sous-entrepreneur des travaux du canal du Nord à Hermies, M. Longuevalle, reprennent le travail au nombre d'une bonne soixantaine.
On sait que ces grévistes un peu malgré eux ne sont pas syndiqués.
Le nombre des ouvriers qui manifeste par ailleurs le désir de reprendre le travail s'accroit non seulement sur le chantier d'Hermies, mais à Ruyaulcourt et à Ytres.

 

Samedi 1er janvier 1910 à l'estaminet Hénocque, un sieur Monchamp, sous-agent de M. Brossier, ayant manifesté trop haut son sentiment sur la grève, est roué de coups et laissé dans un triste état, la tête et la bouche en sang, par quelques grévistes.

 

Lundi 3 janvier au cours de la réunion qui se tient à Ytres, M. Bonnet, secrétaire du Syndicat, fait acclamer la continuation de la grève.


Mardi 4 janvier, quelques ouvriers, parmi lesquels se trouvent des syndiqués, vont, sous la protection de la gendarmerie, commencer à remettre en état les briqueteries et les puits qui ont souffert des sabotages.
Comme bien en pense, cette détente n'est pas pour plaire à ceux qui veulent la grève à outrance; aussi, mardi, à 2 heures, a lieu à Ytres, à l’estaminet Hénocque, une nouvelle réunion pour peut-être préparer une manifestation hostile contre les travailleurs.

Pour la seconde fois depuis le commencement de la grève, on relève un certain nombre de gendarmes de la Compagnie de la Somme. Seize hommes sont ainsi renvoyés dans leurs brigades et remplacés immédiatement par d'autres : pour les gendarmes du Pas-de-Calais, semblable mesure n'a pas encore été prise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Malgré le désir nettement exprimé par de nombreux pères de famille de reprendre le travail après ce chômage de près de deux mois, on ne peut augurer pour bientôt la rentrée générale aux chantiers, en raison de l'état d'esprit des principaux meneurs de la grève, qui usent de tous les moyens en leur pouvoir pour empêcher la reprise ; aussi, est-ce peut-être maintenant que va commencer un rôle pénible et délicat pour le service d'ordre !

 

Une reprise a lieu ce lundi 17 janvier, à la sous-entreprise Mouliez, mais, contrairement à toute attente, il n'y a que 4 ouvriers qui pénétrèrent sur les chantiers, protégés par la gendarmerie.
Par contre, à l'entreprise Longueville sur Hermies, il se produit un relâchement parmi les non-syndiqués ; bon nombre d'entre eux ont abandonné le travail, demandant à être payés à l'heure et non à la tâche : jusqu’à présent, aucune satisfaction n'a été donnée à ces ouvriers et la grève persiste donc.

M. Broutchoux, après M. Péricat, de la C.G.T., est maintenant le conférencier attitré des grévistes, et, dans une réunion tenue lundi à Havrincourt, il préconise la grève à outrance.
Comme on le voit, la situation ne s'améliore pas beaucoup. Le calme continue pourtant à régner entre Hermies et Ytres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une certaine effervescence s’étant produite dans cette journée de mardi, sur les chantiers en grève, par suite de la présence de Broutchoux, on doit décider en haut lieu un envoi de renfort et trente gendarmes, sous la conduite d'un lieutenant, ont été dirigés mardi soir, sur les lieux de la grève.
On annonce qu'un groupement nouveau est en formation parmi les grévistes, lequel s'affilierait au Syndicat jaune.

 

Ce vendredi 4 février on vient de commettre un nouvel acte de sabotage au nord de Ruyaulcourt, c'est-à-dire vers la partie où les chantiers ont repris le travail déjà depuis quelques jours.
On a, en effet, constaté que 250 mètres de fils transmetteurs d'énergie électrique ont été coupés à droite et à gauche du puits 40 ; les auteurs de ce méfait ont aussi emporté ces fils.
Une enquête a été ouverte par la gendarmerie.
En ce début février 1910, une soixantaine de terrassiers embauchés par le représentant de M. Brossier, ont repris le travail, sur les chantiers d'Ytres.
Ces ouvriers, parmi lesquels on compte quelques syndiques sont domiciliés à Bus et à Rocquigny : c'est sous la protection de la gendarmerie, qu'ils se rendent au travail.

 

Également ce vendredi matin, deux éboulements se produisent sur les chantiers d'Hermies.
Un terrassier, M. Arthur Denis, père d'une nombreuse famille, est précipité d'une hauteur de trois mètres : dans sa chute, il se fracture la jambe droite.
Le blessé, qui est originaire de Gouzeaucourt (Nord), après avoir reçu les soins du docteur Gernez, d'Hermies, est transporté à son domicile.
Peu après, dans le même chantier, un second éboulement se produit, qui fait une autre victime, M. Joseph Ringeval, de Metz-en-Couture : il a la jambe droite fracturée et des ecchymoses à la face.

 

Pendant la nuit de vendredi à samedi, 800 mètres de fils téléphoniques appartenant à l’entrepreneur ont été coupés et enlevés sur le territoire d'Ytres.
Ce même fil a été trouvé également sectionné à hauteur du passage de la route de Bertincourt à Ytres.

 

Dimanche 6 février matin, on découvre un explosif paraissant des plus dangereux, à proximité de la cantine Lenoir, sur la route d'Hermies à Bertincourt.
Le Parquet d'Arras est immédiatement informé et le colonel du Génie, sollicité de vouloir bien faire enlever cet engin par un artificier de son régiment.
On ignore l'origine de cet explosif.
Ajoutons que cette série d'actes de sabotage et de malveillance ne laisse pas que d'inquiéter.

 

Nous sommes le 3 avril 1910 et voilà cinq mois, cinq longs mois que la grève dure. Quand finira-t-elle ? Finira-t-elle bientôt par le triomphe des revendications ouvrières ?
En ce Dimanche, à Hermies, dans la grande cour d’un café bordant la place, les camarades Bournet, Henri, Broutchoux et Maucolin font une conférence en plein air qui dure deux heures devant un millier de personnes, la plupart des paysans, qui approuvent les idées syndicalistes révolutionnaires et les revendications des grévistes exposées par les orateurs.
Un curé et un candidat aux 15.000 qui se trouvent dans l’auditoire approuvent aussi nos porte-paroles puisque, malgré plusieurs appels à la discussion, aucun d’eux ne grimpe sur le tonneau qui sert de tribune.
A la sortie, une collecte qui produit 34 francs, est faite au profit des grévistes.
Le lendemain lundi, à Ytres, les grévistes se réunissent en réunion privée. Après lecture de lettres par Bournet venant de syndicats ou de coopératives et annonçant des secours en argent ou en marchandises, la parole est donnée à Maucolin et Broutchoux qui résument la situation et exposent les moyens de triompher, moyens qui sont approuvés par l’assemblée.
Aussitôt après, une réunion du Conseil a lieu et il est décidé de faire appel aux organisations d’Amiens, Arras, Cambrai et Lens pour avoir des orateurs et des secours de toutes sortes.
L’idée d’une grève générale sur tous les lots du Canal du Nord est envisagée. Un avis motivé est envoyé à la Fédération du Bâtiment à ce sujet.
Certains militants ne voient pas d’autre moyen de réussite que la grève générale. Les grévistes de chez Brossier sont trop peu nombreux pour pouvoir agir contre les jaunes, vu les forces considérables de police et de troupe.

A chaque instant, les grévistes sont arrêtés et fouillés. C’est pire que l’état de siège.
Le sieur Lapipe, un chef-mineur, est venu dans la région minière, à Montigny-en-Gohelle, dimanche dernier, pour recruter des mineurs Brossier a bien des paysans, mais ces gens-là ne sont pas capables de travailler seuls en souterrain. Il lui faut donc des mineurs pour remplacer les grévistes. Lapipe en trouva cinq, parait-il, alors qu’il lui en faut une cinquantaine. Gare à ces cinq renégats quand ils tomberont sous notre coupe, ils vont connaître la chaussette à clous. Nous publierons leurs noms dès que nous les saurons.

 

Malgré toutes les tentatives de Brossier et de son chien savant Huba, le travail ne reprend pas vite. Les grévistes sont toujours debout autour du Comité de grève et de Maucolin, délégué de la Fédération du Bâtiment. La grève bat donc toujours son plein et les grévistes, avec les secours de plus en plus importants qui leur arrivent, ont le temps d’attendre.
Dimanche, à midi, le camarade Pecquou se rend à la gendarmerie, pour être questionné au sujet d’un poteau qui a été scié. Malgré qu’il explique l’emploi de son temps, qu’il prouve son innocence, il est arrêté et emmené à Arras. Me Briquet s’occupe de ce cas contre lequel il faut protester, car c’est dégoûtant de voir les pandores se moquer tant des principes de liberté individuelle.
Dans la nuit du samedi à dimanche, une baraque en planche, à Sains-les-Marquion, appartenant à l’entreprise Nanquette, prend feu et une locomotive Decanville est victime de l’incendie. A ce sujet, on parle de sabotage.
Il y a même des mauvaises langues qui prétendent que c’est Brossier qui a fait le coup, car il est jaloux de voir des autres entrepreneurs préservés du sabotage.
De vifs mécontentements ont lieu à peu près sur tous les lots. Le moment est venu de tenter un mouvement général ? Avec le lock-out de Dunkerque, la grève des Inscrits Maritimes, la foire électorale, et l’horizon social qui s’embrase, une grève générale de tous les ouvriers du Canal du Nord serait sans doute d’une grande utilité pour les vaillants lutteurs de l’entreprise Brossier.

 

En avril 1910, le maire d'Hermies accompagné d'un certain nombre de ses collègues se rend auprès de M. Brossier, l'entrepreneur du 6° lot, où la grève sévit depuis le 8 novembre, en vue d'obtenir la cessation de l'état de siège dans lequel se trouve la contrée depuis cinq mois.
Au cours de cette entrevue, qui est très cordiale, M. Brossier tient à dégager sa responsabilité en ce qui concerne cette situation, qui est, dit-il, entièrement imputable aux saboteurs ; puis, l'entrepreneur ajoute qu'à son point de vue, la grève est terminée.

Si le calme ne règne pas dans le pays, par contre le travail est au complet sur ses chantiers. Plus de 400 ouvriers travaillent actuellement au canal. Le puits 43 fonctionne et trois équipes travaillent constamment. La briqueterie n" 1 remarche et fait 25,000 briques par jour. La briqueterie n° 2 fonctionnera incessamment. Les excavateurs retravaillent.
Grâce à l'embauche de nouveaux ouvriers recrutés dans le pays ou venus du dehors, dit en terminant l'entrepreneur, tous les emplois créés sur les chantiers avant la grève sont maintenant réoccupés.
Plusieurs maires ayant insisté pour que M.Brossier reprenne les 150 à 200 grévistes qui s'étaient montrés irréductibles jusqu'à ce jour, l'entrepreneur répond en rappelant le tableau qu'il vient de faire de l'état de ses chantiers et en ajoutant que le voudrait-il, il ne pourrait reprendre actuellement ces grévistes s'ils désiraient retravailler, car il n'a plus d'emplois disponibles.
Devant l'insistance de la délégation, M.Brossier a promis de reprendre au fur et à mesure des besoins les grévistes, mais en ce qui concerne les quinze individus dont il a prononcé l'exclusion, il a déclaré que sur ce point, il ne cédera jamais et même qu'il est inutile de revenir sur ce sujet ; toutefois, il renouvelle son offre antérieure de leur donner une somme globale de 600 francs, pour leur permettre de quitter le pays et de retrouver du travail ailleurs.
Après avoir vu M. Brossier, la délégation de maires se rend au syndicat rouge où elle est reçue par M. Maucolin. Ce dernier ayant été mis au courant des propositions de l'entrepreneur, M. Maucolin, au nom des quinze, refuse énergiquement.
C'est, une indemnité globale de 40,000 francs et en plus, une somme de 500 francs par gréviste renvoyé que nous voulons, si l'on veut que nos camarades partent, dit le délégué.
Comme bien on pense. M. Brossier répond par une fin de non-recevoir ...
Telle est la situation sur les chantiers qui ont repris leur activité d'autrefois et tel est aussi l'état d'esprit  de l'entrepreneur et des délégués grévistes.
Ajoutons que si le travail reprend, ce n’est que grâce à la présence des troupes qui empêchent les conflits entre grévistes et travailleurs, en effet les premiers ne voient pas sans un profond dépit l'inutilité croissante de leurs efforts pour prolonger la grève dont tout le monde dans le pays a plus qu'assez. Si aucun incident ne se produit sur les chantiers, il n'en est pas de même en dehors de la zone de surveillance : chaque jour des ouvriers à leur rentrée du travail se voient insultés ou molestés par les grévistes.

Dimanche, pour la troisième fois, M. Huhat, délégué des jaunes a été attaqué sur la voie publique et menacé d'un coup de couteau par un gréviste.
L'avant-veille, un ouvrier Henri Vidal, qui vient de quitter le chantier situé près de la gare d'Ytres-Etricourt se voit d'abord l'objet de vifs reproches de la part d'une cantinière Mme Bécamel.
Il riposte et la femme fait appel au concours de son mari, de son fils et de diverses personnes pour lapider et rouer de coups le malheureux qui court se réfugier à la cantine Lagarde, pour ne pas être écharpé par ses agresseurs. Ceux-ci font le siège de l'immeuble, brisent les fenêtres et tentent d'enfoncer la porte d'entrée.
C’est alors que Vidal se croyant en cas de légitime défense, prend son fusil et tire quelques coups pour attirer l'attention du poste d'infanterie et des gendarmes. Personne n’est blessé, mais au bruit des détonations, ses agresseurs, telle une bande de moineaux, disparaissent et quand la maréchaussée arrive, elle ne peut que constater les traces des bris de clôture.
Les deux compagnies du 54e d'infanterie viennent d'être relevées à Ytres par deux compagnies du 128e d'infanterie (commandant Perrot de la Breuille).

A partir du 15 avril 1910, le lieutenant-colonel Barbot, (du 54° d'infanterie, commandant actuellement l'ensemble des troupes entre Hermies et Manancourt, sera remplacé dans son commandement par le lieutenant-colonel Eon, du 72° d'infanterie.

Depuis jeudi, on est sans nouvelles du secrétaire, du Syndicat rouge, M. Bournez.
Celui-ci a disparu en laissant à Ytres sa femme et ses cinq enfants. Depuis son départ qui ne laisse pas que d'être très mystérieux, c'est M. Maucolin qui dirige le groupe.

Mardi 12 avril, le tribunal correctionnel d'Arras a condamné par défaut, chacun à un mois de prison, les terrassiers Emile Wils, 32 ans et Eugène René, 28 ans, dit le « Bombé », pour outrages au sergent Lochu et au caporal Maure, du 33e d'infanterie, en détachement à Ruyaulcourt.
Le même jour, Lucien Loyer, 28 ans, terrassier chez M. Constant Hombert, à Ruyaulcourt, pour vol d'un vélo à un cabaretier de Bertincourt, a récolté trois mois et un jour.
Le terrassier Pecout, écroué à la prison d'Arras, sous l'inculpation de sabotage de poteaux télégraphique a été conduit mardi devant le juge d'instruction; il a renouvelé ses protestations d'innocence.

 

En juillet 1910, plusieurs vols et sabotages sont constatés entre Hermies et Havrincourt, sur le lot de travaux dont MM. Graveron et Allary ont l'entreprise.
Un vol d'essence assez important est commis au réservoir du rouleau corroyeur ; des fils d'énergie électrique ont été coupés et enlevés et divers appareils avariés.
Enfin, des outils appartenant à l'entreprise et un paletot à M. Eugène Théron ont disparu
le même jour.

En février 1911, la grève est maintenant terminée et les travaux avancent bien quand un nouvel accident mortel vient de se produire sur les chantiers du canal du Nord, à Ruyaulcourt.
Un terrassier, Constant Hombert, 36 ans, employé au chantier de déchargement, situé à proximité de la route de Ruyaulcourt, à Hermies, a la tête complètement écrasée sous un wagonnet de terre, venant du souterrain.
Hombert, aidé de deux compagnons, faisait basculer les wagonnets à leur arrivée, quand
l'un d'eux, plein de terre humide, ne se décharge pas, et, par suite, du mouvement qu'on lui a imprimé, sort des rails, tombe et vient écraser le malheureux ouvrier.
Hombert laisse une veuve avec cinq enfants en bas âge.

Source :   Journal "Le grand écho du Nord de la France"

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